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Préambule
“La bonne volonté des individus ne suffira donc pas. On le voit, il s’agit de susciter la mise en œuvre de nouveaux dispositifs, de nouvelles valeurs, de nouveaux cadres cognitifs, de nouveaux critères, d’une nouvelle éthique. Mais des politiques publiques accommodantes sont également nécessaires. Comment exiger des personnes qu’elles recourent plus à la marche, au vélo ou au train si les infrastructures n’existent pas ? Comment obtenir une moindre consommation de chauffage dans les passoires énergétiques ? Comment exiger moins de consommation de viande si les produits alternatifs sont trop chers et si notre agriculture n’a pas été profondément réformée ? Nous avons donc besoin de politiques publiques ambitieuses, décidées au terme d’une consultation publique approfondie, capable de planifier les actions sur le long terme, de coordonner les différents acteurs et niveaux.”
Cette citation est issue d’une note de réflexion de Dominique Méda, intitulée “Sobriété : comment sortir du mythe et passer à l’action?”, publiée en septembre 2022 et également parue sous forme de tribune dans le magasine l’Obs. Elle reflète en tous points ce que nous, élu.es écologistes à la région Ile-de-France, attendons d’un projet aussi déterminant que le SDRIF-E.
Le concept de sobriété, au cœur de la pensée et des travaux de la philosophe et sociologue, était le socle de notre première contribution, en septembre dernier. Nous la présentions comme “le premier principe qui doit régir l’ensemble du document, si nous voulons que celui-ci ait une portée efficace sur les vulnérabilités de notre région.”, comme ce qui doit être “notre boussole”.
L’exécutif régional a fait le choix d’articuler son projet spatial régional autour de 5 grands axes :
- Des populations protégées grâce à un environnement préservé ;
- Une gestion stratégique des ressources franciliennes : sobriété, circularité et proximité ;
- Vivre et habiter en Île-de-France : des cadres de vie désirables et des parcours de vie facilités ;
- Conforter une économie compétitive et souveraine, engagée dans les grandes transitions ;
- Améliorer la mobilité des Francilien·nes grâce à des modes de transports robustes, décarbonés et de proximité.
En réalité, la traduction réglementaire du projet se retrouve cloisonnée – environnement, aménagement, transports, logement, développement économique -, quand, ainsi que nous l’avons rappelé à l’occasion de la commission qui s’est réunie le 24 avril 2023, le SDRIF-E est un tout.
En dépit des engagements de l’exécutif régional, les alertes du GIEC appelant à un changement total et rapide de trajectoire ne semblent pas totalement intégrées dans cette première version.
Les éléments cartographiques, en plus des légendes, sont difficilement compréhensibles. C’est en tout cas les remontées que nous avons eues de la part de collectivités et d’acteurs locaux et associatifs.
De surcroît, il nous semble utile d’apporter des éléments complémentaires, que nous avions préconisés dans notre première contribution.
Les orientations réglementaires quant à elles ne sont, à notre sens, pas suffisamment prescriptives et par conséquent plus sujettes à interprétation que dans le SDRIF de 2013. Cela nous paraît aller à l’encontre des exigences imposées par l’urgence climatique et sociale et passer à côté du rôle moteur que doit pourtant avoir la Région Ile-de-France.
Ce document planificateur est un levier majeur pour le devenir de l’Ile-de-France. Il ne peut se cantonner à de grandes déclarations et imprécations.
Sans prétendre à l’exhaustivité, le présent avis entend développer les principes essentiels, axes prioritaires et propositions que nous pensons devoir être intégrés dans le SDRIF-E et qui aujourd’hui sont, pour les écologistes, soit insuffisants, soit manquants.
- L’artificialisation des sols : le SDRIF-E doit penser la Zéro Artificialisation Brute (ZAB) en Ile-de-France
Le premier axe développé « Des populations protégées grâce à un environnement préservé » (titre d’ailleurs timoré et trop peu volontariste au regard de la crise écologique et climatique et des décisions qui devraient en découler), prétend viser 6 objectifs, en passant par « une trajectoire de sobriété foncière adaptée aux enjeux franciliens » et par « une sanctuarisation inédite des espaces naturels, agricoles et forestiers » (ainsi que cela nous a été présenté en commission spéciale le 24 avril 2023) .
D’ores et déjà pourra-t-on faire remarquer que l’expression « une trajectoire de sobriété foncière adaptée aux enjeux franciliens » tend à suggérer que la sobriété est plus une variable qu’un impératif prioritaire.
Et de fait, la première et évidente critique faite à ce document est la faiblesse de la trajectoire de sobriété foncière et de lutte contre l’artificialisation proposée. |
Alors même que la réduction du rythme de l’artificialisation des sols est l’enjeu central de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 et que c’est lui qui a conduit la Région Ile-de-France à engager la révision du Schéma de 2013, alors que, comme le rappelle le GIEC, « Nous sommes à un tournant. Nos décisions aujourd’hui peuvent assurer un avenir vivable », le rythme de réduction de l’artificialisation des sols franciliens tel que proposé, annihile d’emblée la portée du projet dans son ensemble.
Le présent projet de Schéma fixe une trajectoire régionale de réduction de moins 20 % d’effort par décennie jusqu’en 2041. Un objectif inadapté pour répondre à ce que chacun·e doit désormais considérer comme un impératif absolu pour enrayer le réchauffement climatique et l’effondrement du vivant.
Ainsi, il porte à 774 hectares par an le point de départ de la trajectoire à savoir la consommation moyenne sur les dix dernières années comme préconisé dans la loi Climat et résilience. Or, entre 2012 et 2017, le niveau de consommation était de 588 hectares par an, comme le mentionne le bilan du SDRIF publié en 2019. C’est donc sur une base plus permissive et à moins d’efforts (-20% au lieu de -50% imposés par l’Etat aux autres régions) que les objectifs sont fixés. Pour nous, le compte n’y est pas. A ce rythme, l’Ile-de-France, bonne élève en matière de consommation d’espaces jusqu’en 2017, va à peine rectifier le tir de l’accroissement de l’artificialisation des sols qui a ré-augmenté depuis cette date. Nous invitons tout particulièrement l’autorité environnementale à se pencher sur la trajectoire choisie et ces objectifs trop faibles qui conditionnent en grande partie l’atteinte des objectifs de la Stratégie Nationale Bas carbone et de la préservation des Ressources et de la Biodiversité.
L’OR 82 stipule qu’ “A compter de 2031, les projections d’artificialisation sont définies par les documents d’urbanisme selon une approche « nette » : le solde entre l’artificialisation et la renaturation des sols projetées, à l’échelle du document d’urbanisme, ne peut excéder les capacités d’extension offertes par le SDRIF-E. Les dispositifs visant à compenser une artificialisation excédentaire doivent permettre une renaturation effective/observable à l’horizon 2040.”
Cette OR n’est assurément pas assez restrictive et nous considérons, comme nous l’avions déjà appelé de nos vœux dans notre contribution de septembre 2022, que c’est vers le ZAB que nous devons aller et ce en imposant cette approche dès 2031.
Pour paraphraser à nouveau Philippe Bihouix, “Plus que la ZAN, c’est plutôt la ZAB (zéro artificialisation brute, zéro artificialisation tout court) qu’il faudrait viser. Nos villes pourraient devenir « stationnaires », cesser de grignoter (à l’échelle annuelle), de dévorer (à l’échelle de quelques décennies) leurs terres voisines. Plus tôt nous mettrons en pratique la zéro artificialisation, plus grande sera notre résilience (alimentaire, entre autres), notre capacité collective à encaisser les chocs à venir”.
Pour une traduction réglementaire de la sobriété foncière à la hauteur des enjeux et à même d’assurer une trajectoire efficace et vertueuse pour notre région, nous appelons à :une réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers* (ENAF) de 50 % (et non 20 %) pour la période 2021-2031 ;une réduction de l’artificialisation brute de 50 % (et non 20 %) pour les périodes 2032-2041 et 2042- 2050 ;une absence d’artificialisation brute à compter de 2050. Une ambition forte et des objectifs clairs dès maintenant sont la condition sine qua non d’un abaissement suffisant des GES au niveau des engagements nationaux et pourra être révisée, si nous réussissons à mettre notre trajectoire dans les bons rails. |
À l’instar de l’association France Nature Environnement, nous pensons aujourd’hui nécessaire d’appréhender le concept d’artificialisation dans un sens plus large, plus proche somme toute de la réalité.
Nous devons dès lors dans notre grille de lecture commune intégrer des activités qui exploitent les sols de manière intensive et altèrent de manière durable – voire irrémédiable – les fonctions du sol qui, même sans être recouvert de béton, est bel et bien “artificialisé”.
- Les continuités écologiques : figurer, cartographier et faire vivre les trames
Dans le projet actuel du SDRIF-E, il y a peu de mesures, par trame, pour enclencher des actions concrètes et tangibles en faveur de leur protection et de leur pérennisation.Concernant la trame noire, nous souhaitons qu’elle soit mieux qualifiée et que des principes supplémentaires d’application soient intégrés aux orientations réglementaires, inspirées de ce qui est mis en œuvre dans les nouvelles chartes des Parcs naturels régionaux. Cela concerne, notamment, l’OR 9.
Préserver la ressource en eau, protéger nos terres agricoles nourricières
Le dernier sous-objectif présenté dans le premier axe de l’avant-projet d’aménagement consiste à vouloir “Prévenir les tensions sur la ressource en eau”. Ce sous-objectif est présenté, à juste titre, comme un défi qualitatif et quantitatif. Malheureusement, celui-ci ne nous paraît pas pouvoir être relevé dès lors que les orientations sont moins prescriptives que dans le SDRIF de 2013 où la liste des réouvertures des rivières et des nappes phréatiques à protéger étaient clairement mentionnées.
Sur ce point comme sur la plupart de ceux qui sont développés dans le projet d’aménagement, nous partageons les constats qui sont faits. Le changement climatique a des impacts majeurs sur les cycles hydrologiques.
Pourtant, là encore, nous regrettons que les OR ne traduisent pas suffisamment cette exigence. Nous souhaitons que soit explicitement ajouté dans l’OR 11 que “les installations nécessaires au captage d’eau potable” ne doivent pas avoir vocation d’irrigation et que les bassins de stockage d’eau à ciel ouvert sont interdits.
L’OR 38 doit pouvoir être appuyée et rendue tangible par la représentation cartographique des zones en tension en eau.
De plus, l’OR 40 est modifiée tel que suit : “Les aires d’alimentation de captages d’eau potable doivent être, dans les documents d’urbanisme, identifiées et protégées des pollutions”.
L’OR 24 prévoit que “l’urbanisation […] favorise la réouverture des rivières urbaines et les [soustraie] aux réseaux d’assainissement, en réservant, de part et d’autre, un espace suffisant pour leur renaturation.”.
Portant une attention particulière aux objectifs de l’OR 26, nous exprimons toutefois notre inquiétude sur la prise en compte réelle et adaptée de la problématique des zones d’expansion des crues.
Des projets comme la mise à grand gabarit de la Seine Bray-sur-Seine/Nogent-sur-Seine ou le casier Seine-Bassée ont pour conséquence d’exercer une pression hydrique forte sur les zones concernées. Cela déséquilibre les systèmes hydriques locaux et impacte gravement la biodiversité et le vivant, en zone sèche comme en zone humide. Les risques d’inondations quant à eux, que l’on prétend combattre avec ces dispositifs, vont en réalité être amplifiés. L’intervention humaine influence et accélère les écoulements des eaux, en canalisant et recalibrant les rivières et fleuves, et en bétonnant les berges. Nous défendons dans ce cadre des OR à la hauteur des enjeux et des risques.
Nous demandons à pouvoir disposer de la liste exhaustive des rivières urbaines et cours d’eau de notre région, que les écoulements soient bien cartographiés et que les orientations réglementaires qui leur sont relatives (notamment 25 et 26) soient plus prescriptives en matière de préservation, d’entretien, de lutte contre les pollutions et le cas échéant de mise en oeuvre de mesures de réparation. |
A la recherche de la trame brune
Nous l’écrivions dans notre contribution de septembre 2022 : “Caractériser ainsi la qualité agronomique de terres agricoles (telles celles de Gonesse, qui permettent la culture de maïs sans irrigation) permettra non seulement d’éviter leur artificialisation, mais contribuera également à maintenir une diversité des cultures dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau et de besoin alimentaire.”
Reprenant les travaux et analyses de professionnel.les comme Mathieu Delorme, ingénieur-paysagiste, qui se développent de plus en plus et appellent à un changement collectif de regard et de pratiques (voir l’Institut de la Transition foncière), nous avions, dans notre première contribution, défendu une “conscience des sols” et demandé la cartographie de la trame brune.
Las. Si les continuités écologiques sont évoquées, elles se limitent aux trames verte, bleue et noire. A peine est-il fait référence à la trame blanche, quand la trame brune est quant à elle purement et simplement absente du projet.
Nous nous questionnons sur le niveau d’articulation entre le SDRIF-E et le SRCE, dont la révision – qui aurait logiquement dû être concomitante de celle du SDRIFE -, vient tout juste d’être lancée (séance du conseil régional du 30 mars 2023). Un éclaircissement sur l’articulation temporelle de ces documents de planification est nécessaire avant le vote de ce projet.
Aussi, nous redemandons explicitement l’intégration de la trame brune au projet de SDRIF-E, ainsi que sa traduction réglementaire et cartographique. Il faut que lorsqu’une collectivité décide d’artificialiser, elle puisse immédiatement mesurer l’impact écologique de sa décision et l’éclairer.
La formulation de l’OR 30 doit pour sa part être revue, simplifiée et clarifiée. Ainsi, l’objectif de 30 % de pleine terre dans les communes carencées doit être clairement affirmé. La phrase “Dans les communes où la proportion des espaces de pleine terre, dans l’ensemble des espaces urbanisés hors voirie, est inférieure à 30 %, les documents d’urbanisme définissent les règles visant à augmenter cette proportion”, trop absconse, sera revue en ce sens.
L’OR 31, si elle va dans le bon sens, reste trop imprécise et ne qualifie pas assez les objectifs, tant au plan qualitatif que quantitatif. Il conviendrait de lui associer des obligations de mesures d’impact des actions de renaturation engagées, jusqu’à restitution complète de la qualité agronomique des sols. Les documents d’urbanisme devront identifier des zones préférentielles de renaturation.
Des précisions doivent être apportées sur les objectifs différenciés de désimperméabilisation, de renaturation et de végétalisation du cœur de l’agglomération à la grande couronne : arbres, haies, bandes enherbées, espèces locales.
- Contre les grands projets inutiles et évitables, la sanctuarisation des terres agricoles, la lisibilité et la maîtrise des extensions
Nous nous interrogeons vivement sur la réalité et le niveau de prise en compte et de comptabilisation de l’artificialisation des sols dans son ensemble, qu’ils soient engendrés par les projets nationaux ou intégrés dans l’enveloppe foncière régionale.
Dès lors que ces projets ne sont ni listés, ni cartographiés, ni même communiqués (nous attendons toujours réponse à notre courrier au Vice-président, demandant le détail des opérations dites en faveur de la transition écologique) de manière exhaustive (exemple de la LNPN qui concerne tout de même 270 hectares d’emprise sur des terres agricoles), la trajectoire de – 20 % des surfaces artificialisées, déjà insuffisant, est donc encore biaisée. Pire, l’opacité sur l’artificialisation des sols induites par ces projets pose une question majeure de démocratie, en ne les rendant pas compréhensibles du public et en leur ôtant tout caractère d’opposabilité.
Nous demandons que l’ensemble des projets engendrant une artificialisation soit listé et matérialisé sur les cartes. Une comptabilisation globale, intégrant l’ensemble des projets qu’ils soient nationaux ou régionaux est aujourd’hui nécessaire pour bien mesurer l’impact réel des opérations d’aménagement en extension des zones urbanisées.Nous appelons à un moratoire sur tous les nouveaux projets routiers jusqu’à ce que la France atteigne ses engagements en matière d’empreinte carbone. Nous appelons également à la revoyure et au redimensionnement des Grands projets inutiles et dispensables déjà lancés, qui contribuent à faire perdurer un modèle d’aménagement passéiste voire à générer de la maladaptation. |
De manière générale, la difficulté de lecture de certaines OR, l’utilisation abondante de formules ou d’adverbes d’atténuation, voire d’omission, l’importance laissée à l’interprétation, ainsi que l’intégration d’ “exceptions” qui ne sont pas clairement déterminées et chiffrées posent de réels problèmes.
Par exemple, l’OR 79 ne donne pas de limite maximale à la capacité d’extension exceptionnelle dont elle fait mention (“le SDRIF-E autorise de façon exceptionnelle certaines installations et constructions dans les espaces naturels, agricoles et forestiers”). Trop permissive, elle induit des risques augmentés de ruptures de continuité de l’espace urbanisé existant et accroît la menace de mitage des espaces agricoles, naturels et boisés qu’il est essentiel de protéger. Nous demandons que toute extension exceptionnelle soit qualifiée et objectivée.
Concernant l’OR 8 “Dans la ceinture verte et dans les grandes vallées, sur les plateaux agricoles, où la pression urbaine est particulièrement forte, des fronts verts d’intérêt régional sont figurés par le symbole (*) sur les cartes réglementaires du SDRIF-E. Il appartient toutefois aux collectivités territoriales d’en fixer les limites précises dans leurs documents d’urbanisme.”, nous proposons que soit ajoutée la mention suivante : “dans la limite de leur capacité d’extension”.
De plus, les pastilles d’urbanisation conditionnelle, qui dans le SDRIF actuel permettent le déploiement de la multimodalité, n’existent plus. Elles doivent être réintégrées au document. C’est le cas notamment de Val Bréon mais également du Projet de Port Seine Métropole Ouest où les liaisons ferrées restent indispensables si l’on veut atteindre les objectifs bas carbone fixés.
- La sobriété ne doit pas être un slogan, mais le nouveau cadre référentiel nécessaire des politiques publiques
Logement/ Habitat : changer de paradigme
Le projet veut permettre de « Vivre et habiter en Île-de-France [en offrant] des cadres de vie désirables et des parcours de vie facilités ».
La trajectoire à suivre est ainsi de mettre en adéquation, tant au plan quantitatif que qualitatif, les besoins et l’offre en habitat, tout en répondant aux enjeux environnementaux et du réchauffement climatique.
Dans notre contribution de septembre 2022, nous avions mis l’accent sur les principes suivants :
- faire avec l’existant ;
- questionner et qualifier le concept de densité ;
- concrétiser la sobriété.
À ce stade, nous ne retrouvons pas l’ambition, le volontarisme et les leviers propres à répondre aux vrais besoins des habitant.es.
Par exemple, l’OR 58 est particulièrement vague et peu compréhensible. Nous souhaiterions pouvoir disposer d’un tableau récapitulatif du taux de production en fonction des communes et du détail des typologies d’habitations. Cet état des lieux nous semble indispensable pour appuyer de véritables actions de rééquilibrage, cohérentes avec les objectifs développés de polycentrisme.
Que ce soit
- dans l’OR 62 – “Les documents d’urbanisme encouragent la contribution des nouveaux logements construits […] à la réduction de l’empreinte carbone du bâtiment. Les aménagements visant la réduction de la consommation énergétique sont privilégiés […] ”, –
- dans l’OR 63 – “Les documents d’urbanisme favorisent, en outre, le confort d’été […]”, –
- dans l’OR 64 – “Les documents d’urbanisme ne doivent pas obérer la mise en œuvre d’actions visant la rénovation énergétique du parc immobilier existant […]”
Sans vouloir faire preuve de trop de déterminisme au détriment du volontarisme, on remarque, et on déplore, le choix généralisé de formulations qui atténuent grandement leur portée prescriptive dès lors que les objectifs visés sont peu explicites.
La volonté de rééquilibrage, comme la teneur contraignantes des orientations, est à géométrie variable. Ainsi en est-il de l’OR 60 qui fait le choix, non dénué d’idéologie, d’insister sur “[la limitation du] développement de l’offre très sociale dans les communes où elle est présente […]” plutôt que de mettre l’accent sur les communes carencées, qui ne respectent par la loi SRU et concentrent les populations les plus aisées.
D’ailleurs, sur ce secteur tout particulièrement, les ambiguités ou expressions lacunaires sont légion. Production ou construction, logement ou habitat, caractère “abordable”…Les mots ont un sens qu’il convient de préciser et ce d’autant plus que l’objectif des 70 000 logements annuels, issu de la loi du Grand Paris qui a maintenant 13 ans, est reconduit.
Ce chiffre nous interroge et nous interpelle vivement, à l’instar de FNE qui dans son Livre blanc pour un SDRIF-E environnemental, qui vient tout juste de paraître, écrit : “Pourtant, il est bien documenté que le chiffre de production de 70 000 logements est artificiel au vu de l’augmentation annuelle de 50 000 nouveaux habitant.e.s dans la région et de la composition des ménages qui est de 2,3 personnes depuis 2006. La conciliation de l’objectif de production de
70 000 logements par an ne semble pas compatible avec l’atteinte du ZAN en 2050 au vu du peu d’orientations limitant véritablement la construction de logements. En effet, les solutions pour limiter la construction en favorisant la rénovation du parc existant sont minimisées.”
Où est donc la “sobriété” quand les termes sont vagues voire ambigus, les orientations peu contraignantes, les pistes de réutilisation et transformation de l’existant à peine esquissées, les objectifs chiffrés non objectivés, les capacités d’extension non cartographiées (voir OR 86, 87 et 88) ?
Pour répondre aux besoins réels, il est nécessaire de fluidifier les parcours résidentiels, en limitant le dumping, la spéculation immobilière. Pour répondre aux injonctions contradictoires d’artificialisation des sols, de diminution de consommation des ressources, de production de GES, il faut impérativement prioriser la production de logement social et très social et transformer l’existant (notamment avec un volontarisme accru dans l’exploitation de gisements sous-utilisés : logements vacants, locations saisonnières, bureaux…). Là encore, l’articulation avec les enjeux relatifs à la révision du Schéma Régional de l’Habitat et de l’Hébergement mériterait d’être développés et traduits au travers d’objectifs essentiels et la mise en perspective de domaines d’actions prioritaires |
En finir avec un modèle de développement économique à contre-courant des attentes et des enjeux climatiques
On doit aux activités économiques la consommation de 38 % des sols disparus entre 2012 et 2021.
Pourtant, l’exécutif régional continue à conforter et à promouvoir le développement d’un modèle économique directement et indirectement très consommateur de ressources.
Prétendument engagée dans l’accompagnement de l’économie francilienne vers sa transition et sa résilience, elle l’ancre en réalité durablement dans un mouvement perpétuel de compétition et de concurrence, de toujours plus de production et de consommation.
Quels sont les équipements complémentaires sous-tendus par l’OR 50 (“Les équipements de services urbains doivent être dimensionnés aux besoins de la population. En fonction de ces derniers, les documents d’urbanisme favorisent l’adaptation, et le cas échéant, l’extension des installations ou l’implantation d’équipements complémentaires, notamment dans les sites d’activités d’intérêt régional et les secteurs de développement industriel d’intérêt régional”) ?
Sans typologie “d’équipements complémentaires”, ni limitation d’extension de ces derniers, l’OR apparaît trop vague et trop permissive. Nous alertons par exemple sur les antennes 5G, dont le coût environnemental (et sanitaire) est immense (la nouvelle génération de standards de téléphonie mobile implique de nouveaux terminaux compatibles, qui représentent à eux seuls 81 % des impacts environnementaux du numérique en France, tandis que l’accès plus rapide aux données a un effet “booster” sur la consommation).
Quant à l’OR 124, elle conforte le déploiement du numérique, ce à quoi nous nous opposons.
Pour nous écologistes, le SDRIF-E doit constituer l’opportunité d’une remise en question profonde de notre modèle économique actuel, des principes qui le fondent comme des conséquences qu’il induit sur la nature, les sols, la biodiversité et notre manière de vivre, d’habiter, de travailler, de nous déplacer, de nous nourrir, de consommer. Le SDRIF-E peut être l’écrin de la re-localisation de nos productions et industries essentielles, de leur décarbonation, de modes de faire plus sobres, plus raisonnés, plus démocratiques aussi, comme le permettent l’économie circulaire, l’économie de proximité, l’économie sociale et solidaire. Il s’agit de réinterroger les fonctions industrielles et économiques de notre région à l’aune des enjeux écologiques et des aspirations sociales et sociétales. |
Mais le titre même “Conforter une économie compétitive et souveraine, engagée dans les grandes transitions”, à la fois paradoxal et inconséquent, n’engage pas la région sur ce chemin, comme le confirment les OR déclinées.
Dominique Méda écrit : “Certains continuent de croire que nous pourrons à la fois continuer à produire et consommer plus tout en préservant le patrimoine naturel. C’est le “mythe de la croissance verte” dénoncé par Hickel et Kallis […] Il nous faut donc diminuer la quantité de biens et services produits (fabriqués, échangés, transportés…) de même que la quantité d’énergie produite, utilisée, consommée”.
De manière générale, c’est bien la vocation internationale et productive qui est ici réaffirmée et de trop nombreuses OR soutiennent l’hyperconsommation – (OR 108) et sa pérennisation sans remise en cause de ses impacts, en matière environnementale, d’artificialisation des sols et d’émissions de GES. Nous attendons par exemple que des contraintes réglementaires beaucoup plus fortes encadrent le développement des surfaces logistiques génératrices de trafic routier et favoriser un report modal sur le ferré et la voie fluviale, comme le préconise nombre d’associations environnementales (voir OR 115, qui ne devrait pas simplement “limiter”, mais bien proscrire la création de nouvelles zones logistiques exclusivement routières).
Se déplacer en Ile-de-France : donner corps à la démobilité
L’Ile-de-France se structure historiquement par une hyper-concentration de l’emploi vectrice d’inégalités territoriales majeures, avec des Francilien-nes toujours plus éloignés de leur travail. Mais depuis la crise sanitaire de 2020, le plus gros quartier d’affaires européen, La Défense, fait l’objet d’une désaffection inédite (taux de vacance de 16% en 2023), liée au développement massif du télétravail, spécifiquement pour les types d’emplois de ces zones. Les investisseurs et entreprises privilégient désormais les bureaux plus petits mais situés dans l’hypercentre de Paris. L’OR 106 selon nous est insuffisante et nous demandons un moratoire, jusqu’en 2031, sur la création de bureaux dans les
6 % du territoire (19 communes) qui concentrent 68 % de la création d’emplois.
En parallèle, les transports en Île-de-France sont conçus au service de cette concentration économique.
Le présent projet de SDRIF-E met à l’agenda de nombreux projets de radiales – lignes droites de la périphérie vers l’hypercentre – qui vont renforcer la concentration des pôles. Il rentre donc en contradiction avec la volonté politique affichée de rééquilibrage et de polycentrisme et renforce encore plus la zone centrale, en saturant des transports déjà en limite.
En outre, le SDRIF-E a un devoir de vérité aux territoires : il ne peut pas laisser croire que des projets ni financés ni finançables, dont l’opportunité sociale n’est pas prouvée, et dont les conséquences environnementales vont être irrémédiables, vont véritablement avancer d’ici 2040.
L’urgence est, au contraire, de prioriser un maillage fin pour répondre aux besoins des populations locales et leur offrir une solution de mobilité, principalement en surface, pour rejoindre leur emploi et ainsi lutter efficacement contre la dépendance automobile (Bus à Haut Niveau de Service de proximité, tramways ou bus de liaison vers des radiales). Ainsi, le SDRIF-E doit beaucoup mieux penser la démobilité, la proximité et le rapprochement domicile-travail (connexion entre les emplois locaux et les transports et priorisation des réseaux secondaires).
Certaines infrastructures de transport ferré lourd (ligne 17 Nord, 18 Ouest du métro et 19 du métro) doivent être retirées du projet. Ces offres de transport nouvelles, qui ne correspondent que très marginalement aux demandes locales, renforcent le phénomène des “villes dissociées”, théorisé par Jacqueline Lorthiois, c’est-à-dire des villes avec la caractéristique suivante : “l’habitant n’y travaille pas, le travailleur n’y habite pas”. Ces projets sont plutôt le prétexte à une urbanisation accrue qui endommage très fortement l’environnement (nature, biodiversité, écosystèmes), saccage et gaspille des espaces fertiles et utiles à l’agriculture.
Sur le volet des voiries, l’élaboration d’une carte de la dépendance automobile et le développement d’alternatives pour y répondre seraient plus efficients que les innombrables projets de nouvelles routes. Les écologistes, nous le rappelons une nouvelle fois, défendent le moratoire sur les routes. Seuls les projets, dédiés aux modes actifs et à la sécurisation générale des voiries doivent être inscrits au SDRIF-E.
Concernant le vélo et la marche, le SDRIF-E doit intégrer non pas seulement le projet du RER Vélo, mais aussi prévoir dans ses orientations réglementaires de favoriser :
- un réseau de pistes et d’itinéraires cyclables secondaires, permettant de relier en toute sécurité les pôles, à commencer par les gares, les lycées et les pôles économiques,
- le développement de zones piétonnes dans les pôles de centralités définis au SDRIF-E, en aide au renforcement du commerce de centre-ville,
- a minima l’inscription du principe des rues aux écoles, c’est-à-dire la piétonnisation de toutes les rues et espaces devant les établissements scolaires,
- de nouvelles véloroutes pour favoriser le tourisme à vélo, notamment le long des cours d’eau et un plan marche pour la randonnée et la balade.
Dans le secteur des transports, l’aérien est fortement responsable du bruit et du mauvais bilan carbone des franciliens. Dans le respect des accords de Paris, le SDRIF-E doit inscrire dans ses objectifs la décroissance du trafic aérien (OR 144 et 147), et geler tout projet d’extension des aéroports. Le déclassement du Bourget – spécialisé dans les jets privés – permettrait également d’envisager au cœur du 93, une renaturation de cet espace à l’instar de l’ex aéroport de Tempelhof à Berlin, transformé en grand parc.
L’articulation de la politique relative aux mobilités et au développement économique doit être revue en urgence dans le SDRIF-E pour intégrer l’urgence climatique et sociale à tous les niveaux.
Le SDRIF-E doit permettre d’anticiper les mutations à venir, qu’elles soient sociétales ou économiques. Et il y a urgence. Il faut faire montre de cohérence et de volonté dans l’action publique pour apporter les justes réponses aux inquiétudes et préoccupations légitimes de la population face aux alertes climatiques et à leurs impacts concrets sur leur vie.
Si le diagnostic porté dans le document Projet d’aménagement est assez complet, certaines propositions et orientations ne sont pas suffisamment claires ni courageuses.
Ce projet d’aménagement de l’Ile-de-France sera mis en application à compter de 2025, soit très exactement au moment où le pic des émissions de gaz à effet de serre devra être atteint pour ensuite décroitre, si l’on veut rester à une hausse de température moyenne de 2,5 C°. Il n’y a donc pas à tergiverser. L’exploitation du foncier ne devra plus impacter ni les ressources locales alimentaires, ni les puits de carbone.
Un projet d’aménagement partagé est aussi un moyen de recréer de la cohésion sociale. Il est indispensable qu’un volet pédagogique et des actions de communication, déployés tout au long de sa mise en œuvre, soient élaborés.
Comme nous l’avons déjà exprimé, le SDRIF-E constitue une réelle opportunité de créer des liens continus et durables avec les habitant·es, de bâtir une culture commune de l’aménagement qui se nourrit des réalités des territoires et reconnecte les usager.es avec les institutions.
C’est pourquoi nous défendons un projet non seulement ambitieux et prescriptif mais constituant un référentiel clair, compréhensible et accessible. C’est la condition de son appropriation par les territoires et les habitant.es et d’une trajectoire vertueuse d’aménagement, de développement, d’utilisation des sols et de préservation des ressources vitales et de la biodiversité.