Des transports en commun accessibles et de qualité pour la neutralité carbone de l’Île-de-France en 2050
La présente contribution, réalisée dans le cadre des Assises des Transports du 23 janvier 2023, dresse de manière liminaire les propositions écologistes en matière de financement du volet fonctionnement des transports franciliens. Le modèle actuel apparaît en effet à bout de souffle, déconnecté des enjeux climatiques et sociaux, voire en contradiction avec eux, incapable d’offrir une vraie justice sociale et de répondre aux objectifs fixés pour la conduite des politiques publiques (et réaffirmés par l’Etat dans sa Trajectoire Nationale Bas Carbone) pour atteindre la neutralité carbone (condition sine qua non du maintien d’une planète vivable) au plus tard en 2050.
Aujourd’hui, le secteur des transports dans son ensemble représente le tiers des émissions de la France (+9% depuis 1990). 94% sont imputables au transport routier. La décarbonation des mobilités du quotidien s’impose à nous et doit être portée comme une priorité de nos politiques publiques à l’échelon régional. Dans ce contexte, nous devons assurer l’accès à des solutions de transports en commun de qualité qui répondent vraiment aux besoins des habitant.es en reposant sur un maillage fin de dessertes et adapté aux réalités et spécificités territoriales. Ce plan d’aménagement doit s’accompagner d’une tarification socialement juste et incitative en élargissant les tarifs réduits pour les personnes les plus précaires comme les étudiant·es et travailleurs pauvres et les personnes sans emploi. Ces assises doivent aussi être l’occasion de repenser les tarifications différenciées par département, afin de supprimer les inégalités territoriales d’accès aux transports.
Par ailleurs, la garantie de la qualité du service public passe par l’amélioration des conditions de travail et salariales chez les opérateurs de transports. Pour rendre possible cette amélioration significative de l’offre, nous devons résoudre la problématique de la pénurie de personnels dans les secteurs des transports. En première ligne, les conducteurs.rices et machinistes qui sont principalement touché.es par la faible attractivité au regard du rapport salaire/pénibilité/contraintes des métiers, renforcé en Île-de-France par la course effrénée à la privatisation menée par la Présidente d’Ile-de-France Mobilités (dumping social généralisé).
A court terme, les besoins de financements en fonctionnement sont importants et d’autant plus pressants que sur la période 2024 – 2030, de nouvelles recettes devront couvrir l’exploitation des nouvelles lignes du réseau de transports : Grand Paris Express avec les lignes 15, 16, 17 Sud et 18 Est, le prolongement des lignes de métro 14 et 11 et du RER EOLE à l’Ouest, ainsi que les nouvelles lignes et prolongements de tramway, BHNS et bus.
Face à la trajectoire financière incertaine et fragile d’Ile-de-France Mobilités, il est irresponsable aujourd’hui de soutenir les grands projets inutiles et climaticides (ligne 17 Nord avec une gare au milieu des champs, ligne 18 Ouest et Charles-de-Gaulle Express), autant de gabegies qui vont durablement ébranler les budgets de l’Autorité Organisatrice des Mobilités, sans apporter de solution de mobilités qui correspondent aux besoins avérés des francilien.nes. En responsabilité, nous demandons un moratoire et la suspension de ces projets dont les coûts de fonctionnement seront difficilement supportables. Par ailleurs, la gestion pleine et entière de la compétence du transport francilien par IDFM apparaît comme une nécessité. Nous défendons une reprise par Île-de-France Mobilités de la Société du Grand Paris et de la maîtrise d’ouvrage des infrastructures.
Au-delà d’une refonte en profondeur du modèle de financement, de la gestion des ressources humaines et de la gouvernance, la décarbonation de notre modèle francilien nécessite une approche nouvelle de l’aménagement du territoire, plus économe en espace, en ressources et en énergie. Une approche de l’aménagement qui met fin au phénomène des villes de plus en plus dissociées pour reconstituer des bassins de vie cohérents entre habitat/emploi/accès aux services et biens communs, et ainsi diminuer les besoins en transports. La région doit se saisir de la révision en cours du SDRIF-E, et via IDFM de celle du PDUIF, pour engager l’ensemble des territoires dans ce nécessaire tournant. Les réflexions sur le financement devraient par ailleurs aller au-delà de la question des transports en commun, et intégrer plus largement les questions de multimodalité.
Nos propositions se construisent autour de deux axes :
La mise en place d’une fiscalité écologique
→ Un versement mobilité qui s’inscrit dans une stratégie bas carbone des entreprises franciliennes
Le Versement Mobilité, c’est-à-dire la contribution des employeurs au financement des transports publics, est la seule dont le taux n’a pas augmenté cette année contrairement à la contribution des collectivités et la tarification pour les usager.es. Or, les transports contribuent au bon fonctionnement des entreprises et ont un impact direct sur la productivité. Ainsi, cette participation de l’entreprise aux transports en commun doit être significativement augmentée notamment pour les zones qui bénéficient d’une très bonne desserte.
C’est pourquoi, à l’instar des parlementaires écologistes lors du débat sur le projet de loi de finances, nous continuons à soutenir le principe de la modulation du versement mobilité, qui pourra passer par la création d’une quatrième zone se caractérisant par une excellente desserte en transports en commun (au moins 2 lignes sur rail à moins de 10 min à pied) et par une hyperconcentration de bureaux sans les logements et services publics utiles, générant des demandes de déplacement. Cette contribution des entreprises doit rentrer dans leur bilan en termes de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) au titre de l’action pour la décarbonation.
De plus le Versement mobilité doit comprendre dans son calcul, un mode incitatif permettant de récompenser les pratiques vertueuses des entreprises en matière de mobilité durable, au travers :
- d’un bonus pour les entreprises qui ont établi un diagnostic des déplacements (interentreprises, salariés, fournisseurs etc) et un Plan de mobilité, incluant le forfait mobilités durables et/ou le remboursement à plus de 50% du pass Navigo pour les salarié·es ;
- d’un bonus pour les entreprises prenant en considération des jours de télétravail, afin de lisser la fréquentation des transports sur tous les jours de la semaine ;
- la prise en compte de l’offre de stationnement de l’entreprise/collectivité diminuant la place de la voiture individuelle et favorisant à contrario l’autopartage, le covoiturage et la promotion de l’accès et stationnement vélo ;
- l’accompagnement à l’accès à du logement à proximité, via le 1% logement par exemple.
→ Une contribution annuelle de la publicité dans les transports
Par le biais d’une taxe sur les panneaux publicitaires, destinée aux annonceurs, 100€ par face publicitaire majorée à 200€ pour les faces numériques, nous ferons contribuer la pollution visuelle, la gabegie énergétique et la promotion de la surconsommation, en attendant une future suppression.
→ Une majoration du tarif de la taxe intérieure de consommation applicable aux carburants de jets privés
A échéance 2024, ces carburants utilisés pour les besoins de l’aviation de tourisme privé, y compris les transports pour compte propre effectués pour les besoins du personnel des entreprises ou de clubs sportifs, seront taxés à des niveaux similaires à celui de l’essence pour automobile. Ces carburants doivent donc rentrer dans ce champ de majoration afin de participer aux financements des transports en commun de notre région. Ainsi, les carburéacteurs et l’essence d’aviation à l’article L312-39 du code des impositions des biens et services (CIBS) pourront faire l’objet d’une majoration du tarif de la taxe intérieure de consommation applicable aux carburants vendus aux consommateurs finaux sur leur territoire.
→ Une taxe sur les colis du e-commerce pour compenser leurs nuisances et leurs émissions
La logistique du dernier kilomètre en Île-de-France, ce sont plus d’un million de colis par jour du fait de l’explosion du e-commerce et des nouveaux modes de consommation. Cette activité génère des nuisances et des difficultés importantes pour les collectivités. Elle pourrait donc participer à la décarbonation des transports par le prélèvement d’une participation de 0,5 centimes par colis.
→ Une TVA à 5,5% sur les transports en commun
La baisse de la TVA pour les transports en commun pourrait créer des marges de manœuvre directes pour l’Autorité organisatrice. Cette mesure est défendue par les autorités organisatrices de toute la France.
→ Un mode de financement de la SGP prolongé pour le fonctionnement des transports
Le financement de la Société du Grand Paris se base entre autres sur une Taxe Sur les Bureaux (taxe sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement). La prolonger pour les besoins de fonctionnement permettrait de garantir des ressources pérennes.
→ Une pollutaxe pour les véhicules les plus polluants et les SUV
Une pollutaxe visant les véhicules les plus polluants (exemple : crit’air 5 et non classés) et les véhicules non-professionnels les plus volumineux et lourds comme les SUV doit être mise à l’étude. Cette pollutaxe n’a de sens que si elle permet d’être directement affectée aux transports en commun.
Ces propositions de recettes, avec une juste participation de chacun.e et une diversification des financements sur la base d’éco-critères, conjuguée à un choc de l’offre et donc de la demande, permettent un financement pérenne des transports. Le retour au prix du Pass Navigo de 2022 (75€) ne doit pas être exclu pour créer un effet-prix positif.
Attirer plus de gens dans les transports et des tarifs plus justes pour augmenter les recettes
→ Le “choc de l’offre”
Le retour effectif à une offre équivalente à celle de 2019 et la dynamique vers une offre à 120% à l’horizon 2024 permettraient d’enclencher le cercle vertueux de l’offre. En effet, l’augmentation des fréquences et le développement des transports (prolongements et meilleures dessertes) permettra une augmentation des recettes, comme cela a pu être constaté au moment de l’instauration du Passe à tarif unique.
→ Une politique tarifaire plus incitative à l’achat des forfaits
Le passage au Passe Navigo unique en 2015 a permis l’accroissement des ventes de +10% du forfait mensuel. Il faut donc retrouver une politique d’incitation à l’abonnement et au Passe Navigo, par un tarif attractif et compétitif par rapport aux tickets à l’unité. Ceci permettra de consolider la trésorerie d’Ile-de-France Mobilités et lui permettra de suivre le rythme soutenu des travaux et autres charges à engager. Le retour à une tarification par zone n’est pas souhaité.
→ Une cohérence pour la multimodalité
Le Forfait Mobilités Durables doit être à la fois généralisé donc rendu obligatoire, et augmenté quand il est cumulé avec un abonnement de transports en commun. La complémentarité des modes, à la fois la pratique des mobilités actives et l’utilisation des transports en commun, permet à un nombre accru de personnes d’en bénéficier pour un mix 100% décarboné.
→ Un bouclier tarifaire financé par l’Etat
En 2022, l’Etat a dépensé 8 milliards d’euros pour les ristournes sur les carburants et cette dépense va se prolonger en 2023 avec l’indemnité de 100 euros. Il est indispensable que l’Etat soit aussi au rendez-vous pour aider les transports en commun. Ainsi, une aide de l’Etat au même niveau, comme bouclier tarifaire, permettrait de financer le choc de l’offre et la transition vers des mobilités décarbonées.
Au choc de l’offre que les écologistes appellent de leurs vœux s’ajoute un choc de la demande avec cette révision complète de la tarification. Dès lors, de nouvelles boucles vertueuses se créent avec une hausse de la fréquentation qui permet de nouvelles recettes et ainsi une amélioration de l’offre (aux plans qualitatif et quantitatif). A cela s’ajoutent les économies obtenues grâce à la diminution des externalités négatives. Moins d’émissions, moins de dépendances aux énergies fossiles, plus de résilience, de productivité et d’amélioration des conditions de vie… autant de ressources financières qui pourront être investies dans la densification et le bon maintien du Transport Public francilien décarboné.
Cette contribution est portée par Jean-Baptiste PEGEON, conseiller régional et administrateur d’Ile-de-France Mobilités avec l’ensemble du Pôle Écologiste à la région Ile-de-France :
Ghislaine SENÉE, conseillère régionale, Présidente,
Charlotte NENNER, conseillère régionale, membre de la commission Transports et Mobilités,
Laurence ABEILLE, conseillère régionale,
Elodie BOUZID, conseillère régionale,
Kader CHIBANE, conseiller régional,
François DAMERVAL, conseiller régional,
Jean-Luc DUMESNIL, conseiller régional,
Benoît HAMON, conseiller régional,
Jacques HULEUX, conseiller régional,
Anne-Claire JARRY-BOUABID, conseillère régionale
Hella KRIBI-ROMDHANE, conseillère régionale,
Annie LAHMER, conseillère régionale,
Sorayah MECHTOUH, conseillère régionale,
Fabienne MEURICE, conseillère régionale,
Carine PELEGRIN, conseillère régionale,
Roberto ROMERO, conseiller régional.
Cosignataires :
David BELLIARD, Maire-adjoint de Paris, Vice-Président d’Île-de-France Mobilités
Patrick CHAIMOVITCH, Maire de Colombes,
Carine PETIT, Maire du XIVe arrondissement de Paris,
Emmanuelle PIERRE-MARIE, Maire du XIIe arrondissement de Paris.
Julien BAYOU, Député de Paris,
Guy BENARROCHE, Sénateur des Bouches-du-Rhône,
Daniel BREUILLER, Sénateur du Val-de-Marne,
Benjamin LUCAS, Député des Yvelines,
Francesca PASQUINI, Députée des Hauts-de-Seine,
Sandrine ROUSSEAU, Députée de Paris,
Eva SAS, Députée de Paris,
Sabrina SEBAIHI, Députée des Hauts-de Seine,
Aurélien TACHÉ, Député du Val-d’Oise,
Sophie TAILLÉ-POLIAN, Députée du Val-de-Marne.
Nadia AZOUG, Vice-Présidente du conseil départemental de Seine-Saint-Denis,
Najib BENARAFA, conseiller départemental des Hauts-de-Seine,
Pascal BERTOLLINI, conseiller départemental du Val-d’Oise,
Frédéric BOURDON, conseiller départemental du Val-de-Marne,
Astrid BROBENKER, conseillère départementale des Hauts-de-Seine,
Tessa CHAUMILLON, conseillère départementale de Seine-Saint-Denis,
Fadila CHOURFI, conseillère départemental de l’Essonne,
Frédérique DENIS, conseillère départementale de Seine-Saint-Denis,
Nour DURAND-RAUCHER, conseiller de Paris,
Annick DISCHBEIN, conseillère départemental de l’Essonne,
Corine FAUGERON, conseillère de Paris,
Elodie GIRARDET, Vice-Présidente du conseil départemental de Seine-Saint-Denis,
Antoinette GUHL, conseillère de Paris,
Fatoumata KONÉ, conseillère de Paris, Présidente du groupe Les Écologistes,
Anne LAUNAY, conseillère départemental de l’Essonne,
Florentin LETISSIER, conseiller de Paris,
Nathalie MAQUOI, conseillère de Paris,
Émile MEUNIER, conseiller de Paris,
Hélène PECCOLO, conseillère départementale du Val-de-Marne,
Sylvain RAIFAUD, conseiller de Paris,
Chloé SAGASPE, conseillère de Paris,
Naïga STEFEL, conseillère départementale du Val-de-Marne,
Alice TIMSIT, conseillère de Paris,
Dominique TRICHET-ALLAIRE, conseillère départementale des Hauts-de-Seine,
Mélissa YOUSSOUF, Vice-Présidente du conseil départemental de Seine-Saint-Denis.