Contribution du Pôle Écologiste de la Région Ile-de-France à l’enquête publique sur le projet de création d’un Établissement pénitentiaire sur la commune de Noiseau dans le Val-de-Marne

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Dans le cadre du “Programme 15 000” lancé par l’État en 2018, Noiseau, commune de 4607 habitant·es située à treize kilomètres de Nogent-sur-Marne, a été retenue pour accueillir un établissement pénitentiaire de 800 places. La présente enquête publique sur le PIG est en cours jusqu’au 29 mars et les contributions sont déjà importantes (2150 à cette heure), preuve de la crainte de nombreuses et nombreux riverain.es quant à l’installation de ce nouveau centre pénitentiaire à proximité de leurs lieux de vie. Les élu·es du Pôle Écologiste de la Région Ile-de-France souhaitent, de nouveau, par la présente contribution exprimer leur avis et leurs observations sur ce projet, qui les interpelle à plusieurs égards.

Un projet mené au détriment de la démocratie locale.

Tout d’abord, du point de vue démocratique, le choix opéré par l’Etat de déclarer ce projet d’intérêt général (PIG) lui permet d’imposer une décision unilatérale d’aménagement sans que les différentes expressions consultatives comme la présente enquête publique n’aient d’impact réel sur sa décision. Les différentes concertations avec les habitant·es de la commune de Noiseau mettent en lumière un défaut manifeste d’information et de dialogue préalables suffisamment important. Élu·es comme habitant·es – qui ont marqué leur opposition ferme au projet – regrettent une décision verticale, prise dans l’opacité, imposée par les représentant·es de l’Etat sans prise en compte des intérêts locaux et dans le cadre d’un rapport de force déséquilibré. Preuve en est, en juin 2023, malgré un rapport témoignant de l’hostilité des habitant.es, Agence publique pour l’immobilier de la Justice (APIJ), qui avait elle-même organisé les premiers échanges publics, a toutefois décidé de maintenir son projet, tout en promettant de répondre aux réserves exprimées.

Nous déplorons que les pétitions, les marches, les expressions démocratiques des riverain.es et des élu.es qui ont ainsi manifesté leur opposition au projet, n’aient pas suffi à le stopper et que l’APIJ passe en force. On parle là, pourtant, d’un équipement très spécifique, dont la construction et la présence auront des conséquences majeures, dans les décennies à venir, sur l’environnement et la vie de celles et ceux qui y vivent, détenu·es et agent·es pénitentiaires comme habitant·es. De fait, tou.tes les élu.es locaux.ales sont farouchement opposé.es à cette procédure, car le PIG est une autorisation juridique permettant à l’Etat de s’affranchir de tous les documents d’urbanisme en vigueur sur le périmètre ciblé. Ces mêmes élu.es se sont donc largement mobilisé.es ces derniers mois pour faire entendre leurs voix, mais surtout celles de leurs administré.es. La réunion du 18 mars 2024 à Noiseau a réuni près de 500 personnes et a été suivie en live TikTok par 3500 spectateurs. Un grand nombre d’élu.es sont intervenu.es pour réaffirmer leur opposition ferme au projet, avec des arguments solides sur le plan environnemental, démocratique, financier… 

Il a donc été collectivement décidé à l’issue de ce moment démocratique important d’organiser un référendum sur les 4 communes concernées par le projet, dans le respect des procédures légales afférentes, et une nouvelle grande marche citoyenne est prévue le samedi 27 avril 2024 pour continuer de faire entendre la voix des habitant.es et élu.es. Deux décisions que nous soutenons pleinement. En parallèle de cette mobilisation citoyenne, toutes les collectivités concernées poursuivent les recours juridiques qui sont à leur portée pour contester le bon fondement de ce projet.

Un projet mené en incohérence par rapport à l’urgence environnementale et la gestion des risques.

Le projet de prison est prévu intégralement sur des terres agricoles cultivées enclavées qui contribuent à la protection d’un écosystème faune, flore hydraulique du plateau de la Brie. Le projet annonce 19 hectares de terres consommées, chiffre sous-estimé car il ne prend pas en compte l’ensemble des infrastructures associées, notamment les routes d’accès qui permettront le bon fonctionnement de l’équipement. 

La référence faite au projet de SDRIF de 2013 par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice pour la concertation préalable ne nous semble plus d’actualité et le potentiel d’urbanisation invoqué lui servant de justification est dépassé et obsolète. La Région Ile-de-France a pris 192 engagements à l’issue de sa COP en 2020. Parmi eux, l’objectif de zéro artificialisation nette, ambition climatique et environnementale majeure qu’elle affirme mettre au cœur du projet de révision du Schéma directeur, désormais agrémenté de l’épithète “environnemental”. 

Un autre de ses objectifs affichés est, en 2025, d’avoir divisé par 2 le rythme de consommation des espaces naturels et agricoles. La région Île-de-France a récemment pris position contre le projet de prison et a tenté de sanctuariser le site en terres agricoles, dans son nouveau schéma directeur régional. L’État a répliqué en déclarant la future prison comme Projet d’Intérêt général (PIG), ce qui lui permettra de passer au-dessus des différentes contraintes urbanistiques. Le vice-président de Région Jean-Philippe Dugoin-Clément a ainsi déclaré par voie de presse : « Quand on parle de transition écologique, aller artificialiser 20 ou 25 hectares de terres agricoles en exploitation, alors qu’il y a d’autres possibilités ailleurs, c’est un non-sens qui va à rebours de l’histoire ». Nous partageons ce constat et nous attendons d’elle qu’elle l’exprime sur tous les projets climaticides et d’artificialisation de terres fertiles et agricoles comme celles de Saclay et de Gonesse. Cette exigence majeure au regard des enjeux climatiques, environnementaux et d’autonomie alimentaire ne saurait être à géométrie variable.

Au global, et au regard de l’ensemble des positionnements des acteurs institutionnels locaux, le projet de prison à Noiseau apparaît ainsi clairement en contradiction avec les objectifs environnementaux nécessaires à tenir dans les prochaines décennies. A ce titre donc, l’implantation de ce bâtiment n’est pas entendable d’autant qu’il risque de couper un corridor écologique important entre la forêt Notre-Dame et la vallée de la Marne. La promesse d’une exemplarité en matière de développement durable ne saurait suffire, tant l’on sait que rien ne peut se substituer à la préservation de l’existant. La lutte contre la dégradation et l’artificialisation des sols est une absolue nécessité et une exigence que le Pôle Écologiste à la Région Ile-de-France porte avec la plus grande vigueur dans le cadre de l’élaboration en cours du nouveau Schéma directeur de la Région Ile-de-France.

De fait, ce projet ainsi implanté est d’un autre temps, alors que les alertes se multiplient, notamment celles du GIEC et son 6ème rapport international ou encore la trajectoire de +4°C en 2100 telle qu’envisagée par le future plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3), et qui nous exhortent collectivement à mettre en œuvre tous les leviers de protection de la nature et de la biodiversité et d’adaptation au changement climatique. Il y a urgence.

De plus, les terres menacées par ce projet sont des terres fertiles, appartenant à des agriculteurs, menacés d’expropriation. A l’heure où les questions d’autonomie et de souveraineté alimentaires sont au cœur de tous les débats (crise sanitaire depuis deux ans, guerre en Ukraine…), le grignotage de ces terres par des projets urbanistiques démesurés apparaît plus encore comme une aberration. C’est à l’inverse à une politique de sanctuarisation des terres agricoles qu’il faut donc s’atteler. Cette consommation d’hectares met en péril l’exploitation par les agriculteurs locaux et notamment la reprise de celle-ci par le fils de l’un d’eux, Ludovic 19 ans. Nous ne sommes pas dupes qu’ avec ce projet qui tuera l’exploitation agricole faute de rentabilité sur la surface restante, l’Etat a pour ambition de consommer d’autres hectares pour agrandir son projet. Preuve en est que la surface arrêtée pour les études de sol est de 75 hectares.    

Enfin, face au dérèglement climatique déjà à l’œuvre, l’enjeu de la gestion du risque est un pan de politiques publiques qu’il nous faut prendre très au sérieux dans des territoires vulnérables comme l’on en trouve de nombreux dans le département du Val-de-Marne au regard de la configuration territoriale. Parmi ces risques, le risque inondations est évidemment le plus prégnant. Or, les derniers épisodes pluvieux massifs de cet hiver 2023 ont montré la vulnérabilité du secteur sur lequel l’Etat souhaite implanter la prison de Noiseau. La découverte dans le sol, entre 50 cm et 1 mètre de profondeur, d’un système de drainage en terre cuite, datant du 17ᵉ siècle, témoigne de la problématique historique de présence d’eau en grande quantité dans les sous-sols et en surface sur ces terres agricoles. Un système hydrologique qui revêt à la fois un intérêt patrimonial et environnemental, plaident les élu.es. Une mission a été déléguée à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) pour évaluer la situation et un huissier a été mandaté pour rendre compte de la situation. Les élu.es s’inquiètent en particulier des risques d’inondation provoqués potentiellement par l’artificialisation massive des ces sols et de leurs répercussions pour l’ensemble du bassin concerné.


Un projet aux conséquences sociales importantes.

Le projet de prison tel que présenté par l’APIJ établit un périmètre sans prendre en compte les infrastructures supports et les externalités négatives induites par cet équipement d’envergure régionale.

La prison va occasionner plus de circulation c’est évident. Or, Noiseau souffre déjà d’un passage trop important de voitures, sur l’axe qui la traverse et dans ses alentours, connus pour être bondés aux heures de pointe.  Les riverain.es ont exprimé leurs fortes inquiétudes quant au trafic généré dans la zone et l’impact environnemental et sanitaire que cela pourrait engendrer sur leurs villages. A juste titre, ils demandent des études complémentaires pour en évaluer la portée, nous soutenons cette demande. 

Les transports en commun, essentiellement des bus, ne desservent pas l’établissement tel qu’il est pensé pour le moment et même s’il y en avait davantage comme promis par les opérateurs du projet, ils seront également pris dans l’important trafic routier, amplifié dans le futur par des projets immobiliers qui seront immanquablement prévus à terme dans cette zone en développement, et qui donc généreront toujours plus de flux. Aucune solution pour l’amélioration de ce gros point noir, connu dans tout le territoire, ne peut être apportée sans qu’elle nuise fortement aux habitant.es de Noiseau. L’opposition des habitant.es malgré les promesses d’arrivée d’emplois est le signe que le prix à payer pour un changement profond, insatisfaisant, est trop lourd. 

Les arguments et éléments de langage des représentant·es de l’État et de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice sur les impératifs de sécurisation et d’amélioration des conditions de vie des détenus et des personnels sont insatisfaisants et se heurtent à la réalité induite, si ce projet voyait le jour, par l’éloignement des détenu·es de la ville, de sa vie et de ses bruissements, des services publics, des infrastructures de transports, etc. De manière plus générale, notre famille politique s’interroge et travaille à mettre dans le débat public la question de l’enfermement et de l’incarcération, de leurs conséquences sur celles et ceux qui y sont directement confronté·es comme sur la société dans son ensemble. Nous nous opposons à la politique du “tout-carcéral” et pensons qu’il est nécessaire de construire et mettre en oeuvre des alternatives à la prison, celle-ci ayant montré ses limites et ses écueils.

Date de publication : 2 avril 2024

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