Voeu de l’UDI sur les petites peines de prison : intervention de Hella Kribi-Romdhane

A

Mes chers collègues,

En lisant ce vœu je me suis d’abord dit qu’il s’agissait d’un texte sorti d’un cabinet d’un parti politique sans expertise, sans vision politique, un peu hors sol, qui méconnaît la réalité du sujet des prisons, de la délinquance et de l’enjeu judiciaire dans sa globalité. J’ai aussi pensé qu’il s’agissait d’une vision populiste dont vous assumez vous-même qu’elle est basée sur les sondages liés au ressenti des francilien·nes sur le manque de sévérité de l’autorité judiciaire. Comme si un ressenti était un état de fait, en préférant vous baser sur cela plutôt que sur des travaux documentés, sur les solutions efficaces pour prévenir la délinquance et la récidive.

Je continue de penser que ce vœu est dénué de toute hauteur de vue et de toute analyse construite mais nous avons décidé de prendre le sujet au sérieux et d’y répondre malgré tout sur le fond. D’abord, précisons qu’il s’agit de politiques régaliennes qui relèvent du ministère de la Justice qui ne peuvent faire l’objet d’une territorialisation au risque de provoquer une rupture d’égalité, même si nous entendons , dans ce voeu, que vous souhaitez que cela soit permis par une démarche expérimentale justement pour contourner ce principe.

Ensuite vous placez ce vœu dans un contexte qui est celui de la période des émeutes de l’été dernier, qui ont touché l’Ile-de-France suite à la mort du jeune Nahel à Nanterre. Vous entendez amener le ministère de la Justice à revoir sa copie en poussant les magistrats à prononcer des peines de prison courtes de quinze jours à deux mois pour punir la petite délinquance, y compris en assumant une politique territorialisée qui ciblerait l’Île-de-France.

Vous souhaitez donc envoyer des jeunes en prison comme si elle n’en était pas déjà pleine, mais est-ce que vous avez bien vu les statistiques de la population carcérale ? Un record battu en 2023 avec plus de 73 000 détenu·es avec une densité carcérale de 142% pour les maisons d’arrêt ou encore les quartiers des maisons d’arrêt.

Cette surpopulation carcérale, elle frappe en premier lieu les personnes en détention provisoire qui n’ont pas encore été condamnées et c’est une situation qui est d’ailleurs unique en Europe puisque la France est le seul pays des 27 de l’UE à avoir une croissance carcérale si importante. D’ailleurs, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU demandait à la France de réduire cette surpopulation carcérale.

Vous ciblez les auteurs des actes de petite délinquance en prenant comme exemple les émeutes alors qu’on sait que près d’un tiers des jeunes déférés étaient des mineurs. Vous pensez donc que jeter des jeunes en prison après un acte de délinquance serait une solution, que cela permettrait de résoudre le problème et de dissuader d’autres jeunes de passer à l’acte. Nous pensons exactement l’inverse.

Êtes-vous déjà allé en prison ? Parce que moi je le fais assez régulièrement.

Avez-vous déjà observé les parcours des détenus ?

Savez-vous qu’à leur arrivée en prison les détenus passent les premiers jours au quartier des nouveaux arrivants pendant plusieurs jours ?

Quel sens pourrait avoir une peine de prison dont on passe une bonne partie à l’accueil ? C’est comme si on considérait que le temps que vous passez dans la salle d’attente de votre médecin contribue à vous soigner.

Ignorez-vous donc à ce point que le passage par la case prison permet bien souvent aux petits délinquants de développer leur réseau de délinquance et de sortir de détention bien plus dure qu’au moment de leur entrée. Le passage en détention devient presque un passeport pour être respecté quand on revient dans le quartier. Comment ne pas s’endurcir dans un milieu où les rapports de force sont permanents et où règne la violence au quotidien.

Puisque vous ciblez la petite délinquance qui pourrit la vie des habitants, en effet, permettez-moi de vous dire que vous oubliez l’essentiel : aucune solution d’enfermement ne saurait résoudre le problème. Si vous vous attardez une minute sur le profil de ces jeunes que vous ciblez vous comprendrez que ce sont bien souvent des jeunes qui cumulent les handicaps, qui cumulent un certain nombre de freins à l’inclusion. Combien de personnes touchées par des maladies mentales se retrouvent en prison ? Combien de facteurs d’échecs et de déterminismes oubliez-vous ? Par exemple, 65% des jeunes qui ont participé aux émeutes sont issues de familles monoparentales. C’est révélateur d’une situation. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que pour prévenir la récidive, pour prévenir la délinquance il faut miser sur le travail éducatif, d’accompagnement vers l’insertion sociale et professionnelle. Nous devons amener ces jeunes à trouver une autre voie que celle de la violence.

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Conseil régional : Mars 2024

Thématique : Sécurité, prévention et aide aux victimes

Élu·e : Hella Kribi-Romdhane