Madame la Présidente,
Monsieur le Vice-président,
Cher·es collègues,
Alors que nous allons voter le projet d’aménagement qui va dessiner l’avenir de l’île-de-France dans les prochaines décennies, nous ne pouvons évidemment pas faire abstraction du contexte.
Les violences auxquelles nous avons assisté, après la mort tragique de Nahel Merzouk, tué par un policier, nous ont tous profondément interpellé. Il est temps maintenant de cesser d’éluder ces feux qui couvent et qui ravivent sans cesse les brasiers, même quand certains les croient éteints.
Ces feux de braises, c’est l’accumulation dans de nombreux quartiers des zones urbaines, périurbaines ou rurales de difficultés et d’inégalités qui perdurent et se transmettent, c’est l’impression de relégation et d’abandon que les habitant.es ressentent, c’est le développement déséquilibré du territoire auquel ils assistent, qu’ils subissent, impuissant·es, c’est l’atomisation de la société qui a dissout les liens et exacerbé les individualismes, éloigné les citoyen·nes des institutions, l’Etat des collectivités, les décideurs des corps intermédiaires…
Depuis 2005 et la loi Borloo, les politiques tergiversent. Pourtant la cohésion et la mixité sociales ne se décrètent pas, elles s’accompagnent, elles se construisent, elles s’appuient sur des politiques publiques ambitieuses, avec des objectifs clairs et des moyens à la hauteur.
Durant toute cette séance, nous avons proposé à travers nos amendements le récit d’une autre Île-de-France.
Non pas une Île-de-France idéale, mais celle que l’urgence climatique et sociale exige et qui est à portée de nos politiques publiques régionales, pour peu qu’on y mette du volontarisme et de l’ambition.
A l’heure où notre démocratie est dégradée, le SDRIF-E était une opportunité de créer des liens continus et durables avec les habitant.es et les territoires et de créer une culture commune de l’aménagement qui se nourrit des réalités et des besoins.
Mis en œuvre après la seconde guerre mondiale, l’aménagement du territoire a vocation à assurer l’organisation de l’espace, dans un objectif de répartition équilibrée des ressources, des activités et des habitant·es. Dans son principe originel, il est indissociable de l’égalité républicaine et place la puissance publique comme responsable de son application concrète, en créant, en distribuant, en protégeant, en réparant, en compensant.
Or dès le lancement de la révision du Schéma, le Vice-président a décrété qu’il “fallait sortir du mythe du rééquilibrage est-ouest que nous avons, dit-il, préconisé pendant cinquante ans sans jamais y parvenir”. Quel désaveu politique !
Et quelle contradiction : lorsque vous louez les vertus du polycentrisme quand, toute votre stratégie de développement des transports repose sur le prolongement de lignes en radiales, qui renforce l’hypercentralité de la capitale sans aucune réflexion sur les dessertes fines internes aux polarités.
Dans nos contributions, nous avons développé, à plusieurs reprises, le phénomène des “villes dissociées”.
Délétère au plan humain, social, environnemental, il découle justement de la perpétuation du modèle éculé du “toujours plus vite, toujours plus loin”, que vous défendez. Un modèle qui va donc continuer à épuiser les ressources, déplacer les inégalités, les enraciner.
Sur le logement social et très social, en faisant de votre dispositif “anti-ghetto” le pivot de votre politique, en omettant de mettre en place un dispositif de bonification sur la construction logement PLAI et la mixité sociale dans les territoires carencées, et ce en dépit des 750 000 demandes de logement en souffrance et du mal-logement, vous ancrez délibérément les inégalités et vous stigmatisez les plus exclu·es et vous remettez en cause un droit fondamental : le droit au logement.
Mais, en faisant le choix d’un rythme de réduction de l’artificialisation des sols franciliens de seulement moins 20 % d’effort par décennie jusqu’en 2041, vous retirez d’emblée à ce document sa portée et son potentiel d’impulsion.
Ce projet est un rendez-vous manqué. Alors que tous les voyants sont au rouge, alors que nous avons atteint déjà 6 limites planétaires sur les 9 limites établies en 2009, alors que le GIEC aura été on ne peut plus clair, ce SDRIF était l’occasion de la mise en oeuvre d’une politique d’aménagement de rupture, capable d’opérer un véritable virage et préparer Ile-de-france à relever tous les défis face aux crises qui auront lieu dans un avenir certain.
Depuis le temps que nous nous côtoyons dans cet hémicycle, nous voyons bien pourtant qu’il y a bien une forme d’acculturation aux enjeux climatiques. Nous souhaitons ici saluer le travail des services et de l’Institution Paris Région qui œuvrent, nous le pensons, à faire bouger les lignes. Malheureusement si dans votre logiciel politique, vous pensez faire un pas de géant en matière environnementale, mais c’est en fait un pas de souris pour nous, écologistes qui alertons depuis 40 ans sur les ravages du modèle de développement néo-libéral que vous défendez encore.
Un projet d’aménagement ne peut évidemment pas régler tous les problèmes, mais soit il conforte les difficultés et les inégalités, soit il donne le la d’une nouvelle mobilisation autour d’un projet fédérateur et ambitieux, anticipant les mutations climatiques, écologiques, économiques, sociales et culturelles.
Aussi pour clore mon propos, et illustrer le chemin qu’il reste à parcourir, je voudrais ici citer Alain Damasio, qui dans Reporterre, écrit ceci : “Il faut sortir du faux débat […] qui s’appuie sur une conception tristement bourgeoise de la vie désirable qui place confort et sécurité au rang d’absolus. Cette conception nous détruira en détruisant ce qui nous fait respirer. Notre noblesse est de sortir par le haut en remettant le critère du vivant au centre des enjeux.”
En conséquence de quoi, vous l’aurez compris, le Pôle écologiste votera contre cet avant-projet et appelle de ses vœux un sursaut de la majorité régionale.