Un budget régional 2022 hors sol pour Ghislaine Senée

A

Madame la Présidente,

Monsieur le Vice-président,

Monsieur le Président du CESER,

Mes cher.es collègues,

Nous voilà donc dans ce moment particulier du vote du budget, encore plus particulier parce qu’il est le 1er budget de votre deuxième mandat de Présidente à la tête de la région ile de France.

Mais année après année, c’est le même budget que vous nous présentez.

Vous collectionnez de manière quasi obsessionnelle les pseudo-bons ratios, pour plaire aux banques, aux grandes entreprises et aux agences de notation. 

  • compression des dépenses de fonctionnement (les services, d’ailleurs, sont sous l’eau et n’en peuvent plus) ;
  • autofinancement de 66 % ; 
  • taux d’épargne brute de 30 % ; 
  • capacité de désendettement en augmentation constante, 7 années en 2021, un objectif de moins de 5 années fin 2022.

En 2021, vous anticipiez sur une quasi stabilisation des recettes par rapport à 2020, année critique, mais affichiez +5,5% de crédits de paiements d’investissement. Cette année même combat et vous affichez des recettes totales en progression en 2022 de + 6,3 % par rapport au budget primitif 2021. 

Et tout ça ne profite aucunement à la grande majorité des Francilien.nes.

Ah ça, grâce à l’austérité et au détriment d’un véritable projet innovant, responsable, écologique et solidaire, la région continuera d’investir dans le maintien et le renforcement de son modèle : la sécurité, l’attractivité et la compétitivité internationale, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, les grandes entreprises, les routes -.

Le moment est critique pourtant. 

La COP 26 qui s’est tenue il y a tout juste un mois nous a rappelé – et aurait dû vous rappeler aussi – combien l’urgence climatique est désormais indissociable du volontarisme politique. 

Vous même, vous avez d’ailleurs affirmé qu’il fallait “des résultats concrets et pas que des déclarations d’intentions”. 

Vous devez faire entrer la Région Ile-de-France dans la transition écologique, maintenant et de plain pied. Nous n’avons plus le temps pour les promesses sans action et les hésitations.  

Or cela fait 5 ans maintenant que vous êtes à la tête de la région IDF, et votre recherche constante de préemption de l’espace médiatique “de présence” médiatique nous contraint régulièrement à entendre de nouvelles promesses, sans jamais en voir le résultat concret.

Parlons environnement :  

« 1 euro sur 2 du budget de la région sera consacré à la reconstruction écologique », promettiez-vous durant votre campagne pour les élections régionales. 10 milliards pour l’environnement sur la période 2020-2024, soit 2,5 milliards de dépenses annuellement…

Où sont-ils, concrètement ?

Une fois mis de côté les tours de passe-passe et les raccourcis, une fois isolés les financements qui n’ont un impact écologique qu’indirect et secondaire, une fois retiré l’ensemble des investissements “obligatoires” portés par les régions et pour lesquels vous ne faites montre d’aucune recherche d’innovation environnementale particulière, que cela soit dans les transports ou le logement, combien très exactement, consacrez-vous vraiment à la défense et à la préservation du vivant ? 

La vérité ? 96 millions, soit 2,3% du budget total de l’IDF. 

Annoncer le chiffre de 2,7 milliards est juste démagogique. Vous seriez la pire des anti-écolo que vous mettriez autant. Comment osez dire aux francilien.nes que l’argent que vous investissez dans le routier est bon pour l’environnement sous prétexte que cela améliorerait la qualité de l’air puisque moins de bouchons ?  C’est soit de l’incompétence crasse, soit de la manipulation. 

En affichant ce chiffre mensonger, vous décrédibilisez une fois encore la parole politique.

Et que dire de vos retournements de vestes tout au long du dernier mandat ? Oui pour l’extension du Terminal 4 à Roissy, et puis non. 

Oui à Europacity et puis non. 

Oui à la carrière Calcia dans le Vexin et puis non. 

Qu’avez-vous fait pour défendre le projet citoyen et des élus locaux de Thivenal-Grignon contre votre partenaire Altarea Cogedim ? Qu’avez-vous fait contre la destruction des jardins ouvriers du Fort d’Aubervilliers ? Que fait la région face à l’EPFIF, dont elle a la présidence, et qui veut céder des parcelles classées en zone humide pour de la construction de logements au domaine de la Feuilleraie à la Varenne-Jarcy ? 

Nous comprenons pourquoi vous refusez de nous transmettre le bilan carbone que nous attendons depuis des années, et pourquoi vous vous gardez bien de faire un budget carbone pondéré ou étiqueté. 

Depuis que vous êtes aux manettes de la région, en IDF, les GES continuent d’augmenter, la biodiversité continue de s’effondrer. Ainsi, les derniers atlas de biodiversité sur l’ensemble de la Métropole démontrent une chute de – 70% de moineaux sur la zone dense de l’Ile de France. 

Et pourtant, malgré cela, l’ensemble de votre majorité se cache derrière son petit doigt, affirmant sérieusement et fièrement investir 1 euro sur deux  pour l’environnement ! 

Votre inaction, vos dépenses directement et indirectement écocides, vos choix politiques qui ont, entre autre, mis un coup d’arrêt à la programmation de la rénovation thermique des logements, toutes les économies dont vous vous targuez, vos réductions de personnel, vos transferts de compétences à des entreprises privées sans aucun suivi ni aucune conditionnalité environnementale et sociale, témoignent que votre projet est tout sauf ce “projet puissamment réformateur” que vous essayez de vendre.

En vérité, tout ceci affaiblit inévitablement les services de la Région et par conséquent les services apportés à la population, entraînant des malfaçons ou des retards qui désorganisent le bon fonctionnement des lycées ou des transports en commun, pour ne citer que les plus flagrants. 

Regardez ici, au sein de ce siège, votre incapacité même, depuis 2 ans, à résoudre un problème de chauffage et qui vous a obligée à investir dans un appareil de chauffage électrique dans chaque bureau, ce qui va faire exploser la consommation électrique du siège… 

D’ailleurs, il ne faudra pas oublier de comptabiliser tous ces radiateurs électriques dans votre budget environnement parce qu’ils pourraient vous faire faire des économies de gaz fossile et que le nucléaire est moins générateur de Co2…

En fait, le budget que vous nous présentez ici démontre à quel point vous êtes ancrés dans vos certitudes et par la même, dans le modèle post-industriel que vous cherchez encore et toujours à défendre. Des milliers de chercheurs et de scientifiques montent au créneau aujourd’hui pour dire que l’humanité est en péril si on continue à vouloir développer le modèle de croissance dans lequel nos sociétés sont figées et vous, vous persistez à louer la compétitivité, l’attractivité, la concurrence territoriale à tous crins. Vous n’osez plus vanter la mondialisation, mais bon quand même…  

Dans les 20 millions d’euros (5 M€ en investissement, 15 M€ en fonctionnement) que vous projetez d’investir dans le Tourisme, le tourisme de masse, avec la reconquête des “clientèles” européennes et internationales, continue à vous faire de l’oeil et à occuper une place prépondérante par rapport à un tourisme durable et résilient. 

Alors que la crise sanitaire nous impose un changement de modèle, vous restez focalisé.es sur le vôtre, ce modèle passéiste au cœur de votre schéma régional – vivement sa révision ! – ou qui trouvait sa pleine traduction dans la convention passée avec le Groupe ADP en 2018 et qui se fondait sur une croissance prévisionnelle du trafic aérien mondial de 3,6% tous les ans jusqu’en 2036 ! Ce sont donc encore une fois des millions  à fond perdu que vous allez faire dépenser à la Région sur les prochaines années !

Sans parler de la future participation régionale à la nouvelle filiale de la SEM Investissements et territoires dédiée au Tourisme.

En matière de développement économique et d’innovation, vous vous arc-boutez sur un seul leitmotiv : le Solutionnisme technologique.

Seule la technologie et l’intelligence artificielle vont pouvoir sauver le monde en général et l’Ile-de-France en particulier ! Vous dépensez des millions là dedans. Et à aucun moment, il n’est envisagé le moindre débat sur la réalité des atouts supposés de cette intelligence artificielle que vous prônez partout, et sur les impacts concrets, sociaux, humains, économiques et écologiques du déploiement toujours plus intense des nouvelles technologies.

6 M€ affectés en 2021 pour ce que vous appelez les “grands lieux d’innovation”…mais qui sont les grands acteurs de l’automobile et de l’aéronautique, Renault, Aéroports de Paris. En 2022, la dotation augmente encore, avec 8 M€ d’autorisations de programme ! 

En 2021, on a retrouvé les mêmes entreprises, les mêmes acteurs, bénéficiant de 11,8 M€ au titre du Soutien aux projets de R&D des entreprises “à fort potentiel économique” (dont 1 M€ d’euros pour Air France et plusieurs centaines de milliers pour des projets portés par Thalès, Dassault Aviation ou encore Air liquide). Pour 2022, c’est 14M€ que votre budget leur consacre. 

A titre de comparaison, l’ESS bénéficie, elle, de 3 M€ d’autorisations de programme, et vous aurez beau arguer que cette enveloppe n’est pas “limitative” et que les acteurs de l’Économie sociale et solidaire peuvent émarger à d’autres dispositifs, vous savez que la réalité est toute autre.

Que dire de la santé et du secteur social ? Ils sont réduits à portion congrue.

Nous entrons dans la 5ème vague de l’épidémie de COVID, une 5ème vague dont le niveau de contaminations, en nombre, se rapproche du niveau de novembre 2020. Alors que tout appelle à la lucidité et à la vigilance, comment expliquez-vous que rien dans votre budget n’anticipe cette situation ? C’est effarant.

Vous vous prévalez d’un budget dans la continuité des engagements pour une Région solidaire, du plan de relance post-COVID-19 et du plan de soutien aux hôpitaux. 

Mais concrètement, hors les formations, en matière de santé, le budget d’investissement passe de 17 M€ à…8 M€. Région solidaire COVID 19 ? Effacée. Plan d’urgence santé COVID 19 ? Effacé.  

En fonctionnement, que voit-on ? Stagnation, baisse, disparition de lignes.

Tout juste daignez-vous faire un effort, minime, sur la ligne Prévention Santé Jeunes Étudiants, avec 100 000 € supplémentaires…C’est une problématique majeure, sur laquelle la crise a jeté une lumière crue et vous lui consacrez  0,1 % d’un budget déjà indigent !

Vous annoncez une vague réflexion sur l’étude de l’état de santé des jeunes franciliens…Mais pour quoi ? Pour gagner encore du temps ? Et avec quels moyens puisque vous baissez encore la dotation de l’Observatoire? Ne pensez-vous pas avoir suffisamment d’informations à disposition pour enfin vous saisir de cette question et vous occuper des jeunes Francilien·nes ? 

Nous allons vous en redonner, nous, des informations sur la santé des jeunes :

  • hausse générale des syndromes dépressifs et même doublement chez les 15-24 ans (10 % d’entre eux présentaient un syndrome dépressif en 2019, contre plus de 20 % en 2020) ;
  • augmentation des rythmes circadiens, des troubles alimentaires, des troubles du sommeil ;
  • augmentation de plus de 30 % des addictions ; 
  • renoncement pour un tiers des jeunes à des examens ou des soins médicaux…

Mais qu’attendez-vous donc pour agir ? 

Vous prétendez, Madame la Présidente, n’avoir qu’une seule obsession, celle de faire. Mais la réalité, c’est que partout où vous passez, vous ne faites rien. Pire, vous défaites.  

Sur le secteur social, nous aurions honte, nous, de présenter un tel budget. 

Nous ne voyons aucune traduction concrète, et encore moins les Francilien.nes les plus fragiles, de votre prétendu “positionnement aux interstices”, en initiant et soutenant des démarches innovantes, là où [dites vous] les autres acteurs publics n’interviennent pas. 

Décidément, on a beau regarder, on ne voit rien qui fasse de vous ce que vous prétendez être : “un partenaire facilitateur, incubateur et au cœur des interactions sur les sujets de santé et de solidarité”.

Une nouvelle étude de l’INSEE, fondée sur des données d’avant la crise (2018), et s’intéressant à ce qu’on appelle le halo de pauvreté qui permet de prendre en compte dans les calculs les différences de niveau de vie entre région fait pourtant ce constat : en plus des 1,8 millions de Franciliens sous le seuil de pauvreté “national”, il faut en ajouter 470000 qui seraient considérées comme pauvres si le seuil était défini au niveau régional. 

Avec ce calcul, le taux de pauvreté dans notre région passe de 15,6 % à 19,5% et sans aide et prestations, ce sont 70 % de ces Francilien.nes qui basculeraient sous le seuil de pauvreté national. 

S’il en était encore besoin, cela démontre la très grande fragilité de nombre de nos concitoyen·nes et la nécessité d’un effort collectif et de réponses fortes et structurelles.

Pourtant, vous, ce sont moins de 5 M€ d’euros que vous consacrez à la solidarité. Aucun sursaut, aucune ambition, aucune volonté d’aller vers plus d’égalité et d’aide aux plus fragiles. 

Vous déclarez, encore, mener depuis 2016 “une action exemplaire en matière de solidarité”…Mais l’annexe est désespérément vide, désespérément pauvre. Franchement, vous devriez une bonne fois pour toutes supprimer des lignes, vos tableaux apparaîtraient moins vides et vos mots et vos déclarations sonneraient peut-être un peu moins creux. 

Le CESER, dans son avis rendu le 8 décembre, ne s’y trompe pas et dit dans des termes très forts combien ce BP est à côté, déconnecté, hors sol. 

Un sondage réalisé en septembre 2021 par Ipsos Sopra Steria montrait clairement que les trois premiers sujets de préoccupation des Français étaient, dans l’ordre, l’épidémie de Covid 19 (41%), la protection de l’environnement (39 %) et l’avenir de la protection sociale (36 %). 

A voir votre BP, vous êtes apparemment passée à côté.

Le mois dernier, nous vous avons fait part de notre vive inquiétude face aux vides flagrants et aux manques patents de vos orientations budgétaires pour 2022, qui nous apparaissaient particulièrement présomptueuses et attentistes.

Nous vous faisions même la suggestion de vous saisir des propositions des élu.es écologistes aux Président.es de région, publiées dans une lettre que nous vous avons officiellement adressée.  Nous n’avons évidemment pas eu de réponse à ce courrier. Nous en avons encore moins trouvé dans votre BP. 

Mais aujourd’hui, on dépasse le stade de l’attentisme : c’est de l’imprévoyance, du déni et de l’aveuglement. Les inégalités sociales et les inégalités environnementales vont continuer de se cumuler et ce sont bien les personnes les plus pauvres, les plus précarisées, qui seront une fois encore touchées de plein fouet.

Des défis majeurs – écologiques, sociaux, économiques – s’imposent à nous, mais vous, vous avez produit un budget qui “attend la reprise” et maintient le “cap”. 

Nous sommes dans une tempête, et vous nous proposez un budget de “croisière”. Vous êtes décidément bien ce capitaine d’un paquebot qui continue de nous mener droit dans l’iceberg.

Remarquez, l’année dernière vous nous sortiez quasiment le  même budget, mais il était présenté comme un budget de combat ! On en rirait si la situation n’était pas si inquiétante.

Nous avons déposé 64 amendements et nous ne nous faisons pas d’illusions sur le sort que vous leur réserverez. D’ailleurs, je me permets cette petite incise. A limiter nos temps de parole, à limiter nos moyens, à organiser la vie institutionnelle de telle manière que s’enchaînent les débats entre IDFM et le conseil régional, à ne pas nous donner des moyens technologiques de base qui fonctionnent, vous nous empêchez de faire pleinement notre travail d’élu.es.

Ces 64 amendements ne permettront pas d’infléchir votre politique que nous savons mauvaise pour les Franciliennes et les Franciliens. Mais ils permettront, sans le moindre doute, de montrer à quel point l’accentuation des inégalités sociales et environnementales n’est pas une fatalité et qu’avec un minimum de courage, il est possible d’améliorer durablement la vie des Franciliennes et des Franciliens.

En attendant, votre budget, c’est encore beaucoup de bruit pour rien.

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Conseil régional : Décembre 2021

Thématique : Institution

Élu·e : Ghislaine Senée